• Les Nornes, des divinités pas si mystérieuses que cela.

     

     

     Dessin de Ludwig Burger (1882)



    Trois jeunes femmes sont assises sur les racines de l’arbre du monde. Urdr, tournée vers le passé, contemple pensivement la source d’où s’écoule le savoir, ce concentré de temps jadis. Verdandi pose un regard songeur sur le présent, instant fugitif et pourtant sans fin, du moins jusqu’à ce que mort advienne. La troisième, Skuld, relève son fichu pour mieux scruter l’avenir dont elle a la garde. Le futur de chaque être humain – qu’elle a gravé sur l’écorce d’Yggdrasill, l’arbre univers –, bien sûr, mais aussi celui des dieux. Car le démiurge, pas plus que sa créature, ne peut échapper aux arrêts du destin. Cette instance suprême s’impose à tout ce qui existe dans l’un quelconque des neuf mondes de la cosmogonie nordique.

    Le destin rythme les heures, les jours, les saisons ; il décide de la mort. Préexistant au néant primordial, il présidera au Ragnarök. La fin du monde – un « formidable hiver » de trois ans – sera suivie d’un recommencement. Vision cyclique du temps, bien étrangère à notre conception unidirectionnelle, sans retour possible.
     

    Le dessin de Ludwig Berger (1825-1884) n’est pas sans évoquer Clotho, Lachésis et Atropos, les Moires des Grecs, telles que les a représentées un peintre italien du XVIe siècle.
     

    Giulio Romano (1499-1546)


    Clotho, à gauche, tisse le fil de la vie ; Lachécis, au centre, le déroule ; tandis qu’Atropos le coupe avec les dents. Naissance, vie et mort. Encore et toujours l’inexorable destin contre lequel on ne peut rien.

     « Les Nornes décident du bien et du mal. À moi, elles ont donné grande souffrance », peut-on lire sur une inscription runique ; et le chant de Hlödr, dans l’Edda poétique, se conclut par ce vers fatidique : « Dure est la sentence des Nornes ».

    Mais si tout est écrit d’avance, à quoi bon réfléchir, penser, délibérer ou s’imposer une morale ? De la foi dans le destin découle logiquement la résignation, voire l’apathie. Elle rend vains l’éthique et l’honneur. En quoi sommes-nous responsables de nos actes, si notre vie, de la naissance au trépas, est par avance consignée, estampillée, archivée ? Pourquoi questionner le Bien et le Mal, si le destin a déjà décidé à notre place ?
     

    Pourtant, rien n’est plus étranger à l’homme du nord que ce nihilisme passif. S’il ne peut échapper à son destin, il lui appartient de l’accomplir dignement, courageusement, sans chercher à en alléger le fardeau et encore moins à en éviter l’épreuve ultime. Le moment venu, il acceptera de mourir. L’honneur, celui du clan, comme le sien propre, est à ce prix. C’est tout le sens de cette strophe de l’Edda poétique :
     

    Meurent les biens,
    Meurent les parents,
    Et toi, tu mourras de même ;
    Mais la réputation
    Ne meure jamais,
    Celle que bonne l’on s’est acquise.

    Pour le Scandinave de l’an mil l’honneur est une valeur suprême. Il n’a de cesse de décrypter les présages, les messages que lui délivrent les dieux ou les esprits de ses ancêtres. Une fois son destin révélé, il lui faut l’accomplir sans faillir.  Pour cela, il guettera le moindre signe, consultera les augures ou confiera ses rêves à la science des devins :
     

    Tout récemment, les Nornes
    Me tirèrent du sommeil
    Pour une prophétie sinistre.
    Comment l'interpréter ?  
    (Second chant de Gudrún)

    Des décrets d'Urdr,
    Nul ne juge,
    Fussent-ils à tort rendus.
    (Les Dits de Fjólsvinnr)

    D’autres passages de l’Edda poétique témoignent qu’au-delà d’Urdr, Verdandi et Skuld, les anciens Scandinaves croyaient à l’existence d’une multitude de Nornes : une, voire plusieurs, pour chaque être humain. Dans les Dits de Fáfnir (Saga des Völsungar) on trouve les vers suivants :
     

    Sigurdr dit :
    Dis ceci, Fáfnir, si tu es très savant :
    Qui sont les Nornes qui décident
    Du sort des fils de leurs mères ?
     

    Fáfnir répondit :
    Nombreuses elles sont, et éparses,
    Certaines sont de la famille des Ases,
    Certaines sont de la famille des Alfes,
    D’autres sont filles de Dvalinn.
     

    La référence aux Ases, aux Alfes et aux filles de Dvalinn (un nain souvent mentionné dans l’Edda poétique) renvoie aux trois classes de la société scandinave : les jarls (seigneurs), les boendr (hommes libres) et les thraells (esclaves).
     

    Le destin est personnifié parfois par les Valkyries, lesquelles choisissent les guerriers lors des batailles (la Parque Morta, équivalent romain d'Atropos, coupait le fil de la vie) ; il apparaît aussi sous la forme des mystérieuses Dises.  Ces divinités tutélaires – propres à un individu, une famille ou à un clan – étaient tantôt associées à la fécondité, tantôt à la mort. Non seulement elles « façonnaient le destin de l'homme qui venait de naître, mais encore, mais surtout [elles] insufflaient en lui une sorte d'énergie vitale, une sorte de puissance propre qui serait désormais sa marque individuelle inaliénable, la coloration originale de sa personnalité » (R. Boyer, l’Edda poétique).
     

    Sans doute y verra-t-on une ressemblance avec les fées marraines de la Belle au bois dormant ; à raison, car ces divinités anthropomorphes qui apparaissent dans la littérature médiévale sont le produit de la confrontation des mondes chrétiens et païens, notamment celtique, germain et scandinave.

    Dans cette illustration des trois Nornes publiée dans un ouvrage de 1893, on reconnaît aisément des influences nordiques et gréco-romaines.
     

    Auteur non identifié

     

    Que les Alfes illuminent votre journée.
    T.A.
    12 avril 2022,  ciel dégagé avec des passages nuageux, 19 degrés Celsius, 66 degrés Fahrenheit

     

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