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Fragments en vrac
Les usines Rio Tinto à l'Estaque. Georges Braque, 1921.
— Père ! Que sont ces sortilèges ? La peau de ta main se craquelle, ton cou est blanc comme le givre et, telles les racines d’un frêne, les pattes de ton coursier sont plantées dans la glaise.
— J’attends Göndul et Skögul*, peut-être me jugeront-elles digne de rejoindre l’armée du Très-Haut. Pour toi, le voyage continue ; il durera longtemps. Tu devras braver maints dangers, maintes fois changer de monture, mais tu sortiras plus fort et plus sage de chaque épreuve.
À l’oreille d’Eiríkr, un Alfe sombre** murmure que Thorvaldr a rendez-vous avec les Einherjar***. Il reprend sa chevauchée, le cœur affligé. Les lèvres de son père profèrent un ultime auspice :
— Le temps varie souvent, fils ! Et comme lui va la fortune des hommes. Ta route sera longue et sinueuse, Eiríkr ; les Nornes l’ont tissée avec les fils de la pluie, du vent et de la lumière.
*Deux Valkyries. Elles choisissent ceux qui sont dignes de rejoindre Ódinn dans la Valhöll.
**Créature mythologique vivant sous la terre.
***Les valeureux guerriers tombés au combat. Ils se retrouvent chaque matin dans une plaine toujours verte où ils s’affrontent joyeusement, avant de revenir le soir festoyer au banquet d’Ódinn.
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— Un combat singulier ? Parfait ! si tel est ton souhait…
D’un coup de menton, il indiqua le volatile qui fouillait le chaume de son bec.
— … Que cet envoyé d’Ódinn choisisse sa nourriture ! Mais sache que le corbeau qui se gavera de ma graisse n’est pas encore né ! Allons rejoindre l’enclos.
— Je te suivrai volontiers, mais auparavant débattons des conditions. Si tu l’emportes, il ne sera rien réclamé pour la mort de Zack et d’Ahod. Les dieux en auront ainsi décidé. En revanche, s’ils commandent ma victoire, toi ou les tiens, vous me paierez ce que je demande, soit trois marcs pour Zack et autant pour Ahod. Que tous les hommes ici présents en soient témoins !
— Nous agirons à ta guise, Le Roux… Trêve de palabres, tu excites mon courroux… Battons-nous sur le champ ! J’ai hâte de te voir franchir les grilles de Hel. Dès son retour, Valthjófr pourra exiger de tes fils tout ce qu’il voudra pour les dommages causés par les tiens. Que les guerriers ici présents en soient témoins !
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À l’écart des festivités, Arnkell le godi réunissait les sept jeunes officiantes. Sur un ton sentencieux, il leur rappela la dimension sacrée de la cérémonie de la falaise et les complimenta pour leurs danses et leurs chants ; puis, sans se départir d’une certaine grandiloquence, il demanda laquelle d’entre elles accepterait, selon une antique tradition scandinave, l’honneur suprême d’épouser le défunt.
Sa question à peine formulée, il les mit aussitôt en garde : qu’elles réfléchissent bien avant de répondre ! Car si elle les délivrait de leur condition servile, cette union ultime les engageait irrévocablement.
— C’est comme franchir le Gjallarbrú gardé par la géante Módgudr, le pont aux piliers d’or qui surplombe la rivière Gjöll sur le chemin qui mène au Royaume Souterrain… On ne revoit jamais plus, sauf en songe, ceux qui l’ont traversé !Résumé Obtenir le livre Les chapitres Les lieux Les personnages
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— Partons Eiríkr ! Partons en expédition viking ! Haraldr Gormsson, le roi du Danemark, recherche de vaillants guerriers. Et, à ce que l’on dit, il sait les récompenser.
Le bóndi à la forte carrure qui venait de s’exprimer avait le front précocement dégarni, ce qui mettait en valeur son nez volontaire ainsi que ses pommettes osseuses… Un faciès pugnace, vindicatif... Les yeux pouvaient être alternativement cruels ou charmeurs, ou comme en cet instant, luire d’une colère rentrée. Eiríkr, un des rares boendr que Styrr fils de Thorgrímr respectait, l’estimait en retour pour ses prouesses au combat ; on rapportait qu’il avait tué maints adversaires sans jamais payer de compensation.
— Styrr, mon fidèle compagnon ! J’ai fui au temps jadis, aux côtés de mon père, la tyrannie d’un jarl, ce n’est pas pour me placer aujourd’hui sous les ordres d’un monarque. Et puis… les butins faciles sont derrière nous. Les Anglais tiennent fermement leur pays, les Irlandais sont en train de reconquérir leurs terres, les Germains viennent de prendre Hedeby à la couronne danoise, Lothaire, le roi des Francs, est sorti plus fort de sa confrontation avec l’empereur Otton…
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Il sortit rejoindre ses invités. Il n’aurait jamais soupçonné combien son épouse redoutait les revenants ; elle qui prétendait n’avoir que mépris pour les superstitions des gens de basse condition et ne craindre que la colère des dieux.
Le soleil brillait, l’air était limpide, suave ; la matinée était belle comme une bergère dans un champ de coquelicots.
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Hallgerdr le regardait encore, mais ne le voyait déjà plus. Haussant les épaules, elle replongea son peigne dans sa chevelure.
Devant cette cruelle indifférence, Hallbjörn s’en retourna auprès de ses compagnons.
C’est alors qu’il eut une vision. À la place de Lofn qu’il avait convoquée, c’est Freyja qui l’interpella du haut de son char tiré par deux chats fabuleux : « qu’elle est donc cette mijaurée qui te défie ? N’est-ce pas le lot des femmes que de céder devant la puissance des hommes ? ».
Après un instant d’éblouissement, Hallbjörn releva la tête et bomba le poitrail comme un jeune coq. Freyja faillit éclater de rire.
— Je m’en vais de ce pas prier mon père de me délier de cette femme, se rengorgea-t-il.
— Crois-tu la châtier en lui offrant ce qu’elle désire ? Son outrage n’a-t-il pas souillé ton nom et celui de tes ancêtres ? Pourras-tu souffrir toute ton existence le mépris des boendr, les ricanements des esclaves et le dédain des femmes ? Tandis qu’elle, tout à sa liberté retrouvée, pourra convoler tout à loisir ? Plutôt qu’à Lofn, c’est à Hel que tu devrais adresser ta requête. Que la fille de Loki lui ouvre à l’instant la porte du royaume des morts indignes !
La déesse fit claquer son fouet au-dessus de la tête de ses chats et son équipage disparut dans les nuages.
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Les longs cheveux de la fillette dansaient dans le vent. Sa peau était fraîche, délicate, son visage plein de candeur, quoique ses yeux, de la couleur du temps, fussent vifs et pénétrants, curieux aussi. Tel un miroir, ils épousaient les variations de l’ombre et de la lumière, comme les méandres de son humeur. Par moment, ils s'abandonnaient à la rêverie.
— Et toi, Niamh, lui demanda Thjódhildr, comment te sens-tu après ces deux premières journées en mer ?
— Pareil à l’oiseau dans sa cage… celui que tu m’as montré il y a trois étés. Nous avons si peu de place… au milieu de tant d’eau. J’ignorais que l’océan fut si vaste.
— Tu es sans doute impatiente de voir le Groenland… de te retrouver sur la terre ferme.
— Je ne sais pas… J’aimerais marcher… sur un nuage… On dirait qu’ils vont en Islande… qu’ils sont pressés de rentrer.
Thjódhildr enjamba les corps avachis ; elle tira de sa large ceinture un peigne d’ivoire.
— Approche ! Ta tignasse a besoin d’un coup de démêloir… Tu parles vrai ; un bateau, ce n’est pas bien grand. On y est entassé tel du bétail. Maîtres et esclaves, unis dans le même inconfort.
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Eiríkr mit sa main en visière pour se protéger de la brutale clarté. Une vision merveilleuse chassa les images déprimantes des deux dernières semaines : des prairies en pente douce, des champs lumineux, une herbe haute, grasse, arrosée par un lacis de ruisselets clapotant entre des pierres moussues. Sur ce camaïeu de verts, du plus soutenu au plus tendre, resplendissaient le rouge des jacinthes, le jaune flamboyant des boutons d’or, les épis fuchsia des épilobes... Par endroits prospéraient halliers et bosquets où s’entremêlaient de vigoureux sorbiers et des saules argentés, desquels s’échappait le gazouillis tapageur d’une colonie de passereaux. Nul n’aurait été surpris de croiser un jeune berger sifflant son chien au milieu d’un troupeau de brebis à la toison généreuse.
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Comme elle aurait aimé demeurer indéfiniment sur l’estran ! Là était sa vraie place ; sur ce ruban côtier que l’eau et la terre se disputaient depuis toujours. Dans cet entre-deux, où l’écume alanguie épouse le sable rugueux, où l’instant fugitif embrasse l’éternité, son esprit réintégrait sa chair. Elle renaissait, pure, éthérée, l’âme en repos…
Elle courut dans une vague mourante, s’élança après les deux buhunds qui s’ébattaient au milieu des frisures laiteuses. Elle les poursuivit longtemps dans le ressac, gambadant et riant comme une enfant. Sa robe était trempée, elle n’en avait cure. Le vent glacé sur le tissu mouillé lui brûlait la peau, excitait son sang. Le fracas des rouleaux dressait une muraille sonore contre le monde des hommes. Le goût du sel sur sa langue, l’air marin, humide et violent, l’enivraient.
Sous le frais soleil, les deux chiens revinrent s’ébrouer sur la plage ; à leur côté, tel un alfe lumineux, Melkorka dansait.
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Már, pissoir des dieux !
Que les trolls et les Alfes,
Et les géants des montagnes,
À jamais t’interdisent
L’entrée du royaume
De Midgardr.
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Lorsque son père lui annonça que la cérémonie se déroulerait au Groenland, le cœur de Freydis s’emballa comme un cheval au galop. Elle serait du voyage ! Certes, le garçon était bien terne, il l’ennuyait même, mais il était gentil. Elle en obtiendrait ce qu’elle voudrait. Une fois les clés à sa ceinture – si elle ne se montrait pas trop malhabile et si elle évitait de blesser son mâle orgueil –, elle pourrait administrer le domaine à sa guise.
En attendant, elle devait jouer la fille soumise. Quand Eiríkr sollicita pour la forme son avis, elle acquiesça d’un signe de tête. À peine avait-il joint sa main à celle de Thorvardr, qu'elle s’enquit de la loi qui s’appliquerait au Groenland.
— Par Ódinn ! Voilà une fort étrange question... Celle de nos ancêtres !
Le jeune homme les regardait sans comprendre ; où voulait-elle en venir ? Les prunelles de Freydis pétillèrent de contentement. Elle saurait lui rappeler, à l’occasion, qu’il suffisait selon la loi islandaise d’invoquer l’incompatibilité des tempéraments ou la tristesse au sein du couple pour obtenir le divorce !
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