• Eiríkr Le Rouge : « Je suis une légende »

     
     

    Si la colonie du Groenland fondée par les Scandinaves de l’an mil est tombée dans un relatif oubli, en revanche, le nom de son fondateur demeure toujours bien vivant dix siècles plus tard.
     



    L’illustration ci-dessus représente le maître de Brattahlíd en armure du XVIe siècle (dans la Groenlandia d’Arngrímur Jónsson). Elle est pour le moins fantaisiste, tout comme le personnage de Viking barbare et violent que l’on retrouve dans la plupart des BD, romans ou films qu’il a pu inspirer.

    Eiríkr Le Rouge aurait vu le jour entre 940 et 950 de notre ère ; son décès serait advenu vers 1003 ou 1010 à un âge compris entre 53 et 70 ans.
    Le conditionnel est de rigueur, car la biographie sur laquelle s’accordent les historiens ne tient qu’en quelques pages et repose sur des bases assez fragiles. Le Landnámabók, le livre de la colonisation de l’Islande, fut rédigé plus de 250 ans après la découverte du Groenland. Deux autres textes, La saga d’Eiríkr Le Rouge et La saga des Groenlandais, reprennent les mêmes éléments. En dépit de son titre, la première saga n’octroie à Eiríkr Le Rouge qu’un rôle mineur ; le sujet principal de ces deux récits n’étant pas l’établissement au Groenland – évoquée très rapidement –, mais les voyages au Vínland, le long des côtes nord-américaines, qu’auraient effectués à plusieurs reprises les enfants d’Eiríkr.

    Si l’on en croit ces documents, Eiríkr Le Rouge serait donc né en Norvège et aurait émigré en Islande après le bannissement de son père consécutif au meurtre d’un certain Gudrudr, dit Tête Plate. On ignore les circonstances de ce drame tout comme les détails de cet exil – combien de navires, combien de personnes… ? Le père et le fils auraient débarqué dans le nord-ouest de l’Islande. Quelques années après, Eiríkr aurait épousé Thjódhildr Jurundarsdottir.

    La généalogie du fondateur de Brattahlíd ne nous renseigne pas beaucoup plus : son père se prénommait Thorvaldr, son grand-père Úlfr, et le père de ce dernier Thórir aux bœufs ; un frère de Naddoddr, un Norvégien qui aurait découvert l’Islande au IXe siècle… Une belle ascendance, s’il en est. On connaît aussi les noms de quatre enfants, dont deux probablement conçus avec des concubines. Bien que Thorsteinn soit mentionné en premier dans La saga d’Eiríkr Le Rouge, qu’il fût également le premier à se marier et qu’il administrât un domaine appartenant à son père, la plupart des spécialistes attribuent – sans raison évidente – la primogéniture à Leifr. D’autres soutiennent que Thorvaldr, le troisième fils, n’était pas de Thjódhildr ; d’autres encore contestent l’existence de Freydis. Cette fille serait une aventurière maléfique imaginée par les auteurs des sagas – des religieux en toute hypothèse – pour faire pendant à la très chrétienne Gudridr Thorbjornsdottir. Cette dernière – personnage majeur de ces deux récits – aurait vécu en religieuse à la fin de sa vie et sa descendance compterait au moins trois évêques islandais.

     

     

    (Freydis Eiríksdottir. Statue de cire, Saga Museum, Reykjavik)

     

     

    (Gudridr et son fils Snorri. Glaumbær, Islande)

     

     

    Sur la colonisation du Groenland, l’écrit sans doute le plus crédible est un extrait de l’Íslendigabók d’Ari Thorgilsson, dit « le savant » (1067-1148) :

    Le pays que l’on appelle Groenland fut découvert et colonisé par des Islandais. Il y avait un homme du nom d’Eiríkr le Roux, originaire du Breidafjördr, qui partit d’Islande pour s’y établir dans une terre appelée depuis l’Eiríksfjördr. Il donna un nom au pays et l’appela Groenland espérant qu’un beau nom encouragerait les gens à y émigrer. On trouva des traces d’habitations humaines dans l’est et dans l’ouest du pays, ainsi que des débris de barques en cuir et des ustensiles en pierre, d’où l’on put conclure que la contrée avait été habitée par une tribu de la même famille que celle qui a pris possession du Vinland et que les Groenlandais appellent Skraelingar. Cette occupation du Groenland eut lieu XIV ou XV hivers avant l’introduction du christianisme en Islande. C’est là du moins ce que Thorkell Gellisson a appris au Groenland d’une personne qui avait elle-même accompagné Eiríkr le Roux dans ce pays.
     

    (Le livre des Islandais du prêtre Ari le Savant. Traduit et précédé d’une étude sur la vie d’Ari par Félix Wagner. Bruxelles, 1898)

    Rien de plus. Néanmoins, cela permet de dater l’installation au Groenland dans les années 985-987. Les Skraelingar – un terme méprisant – dont parle Ari Thorgilsson étaient des Paléoesquimaux – au Groenland – et très vraisemblablement des Amérindiens – au Vínland.

    Si les sagas livrent quelques noms de lieux – pas toujours identifiables – et quelques repères temporels, en revanche, elles n’évoquent qu’en passant les hommes et les femmes qui franchirent l’Atlantique Nord. Nous ne savons rien de l’équipage du premier voyage, lequel dura au moins trois ans. Eiríkr a-t-il emmené des membres de sa famille ? Son épouse ? Ses fils ? Y avait-il seulement des femmes à bord ? Les écrits sont muets là-dessus. Toutefois, ils mentionnent des femmes lors des voyages suivants – au Vínland –, et cette présence féminine est corroborée par les fouilles réalisées sur le site de L’Anse aux Meadows, au nord de Terre-Neuve.

     

    (Reconstitution d’un habitat viking. L’Anse aux Meadows, Terre-Neuve)


    Les sources historiques laissent également sans réponse des questions somme toute légitimes : pourquoi Eiríkr a-t-il tourné le dos aux routes de l’est ou du sud, qui ont enrichi tant de chefs vikings, pour se lancer sur des mers inconnues quand les croyances de l’époque lui promettaient mille dangers ? Qu’a-t-il trouvé dans ces contrées inhabitées, aux franges d’un univers glacé, qui lui ait donné envie d’y retourner, et comment a-t-il réussi à convaincre autant de ses contemporains de le suivre ? L’argument du « beau nom », avancé par Ari le savant – le Groenland signifie « la terre verte » –, ne suffit pas à expliquer pourquoi un millier d’Islandais ont choisi subitement de s’expatrier.

    En raison du peu d’informations fiables, ce peuplement relèverait encore de la légende s’il n’existait des preuves incontestables : les ruines de centaines d’habitations et de bâtiments agricoles, une quinzaine d’églises, une cathédrale, un monastère et un couvent. Et bien sûr, des cimetières... La population de la colonie a compté bon an, mal an entre deux et six mille âmes. En tout, c’est 40 à 80 000 Scandinaves qui sont nés au Groenland en près de cinq siècles.

     

    (Reconstitution de l’église de Thjódhildr à Brattahlíd, Groenland)




    (Ruines de l’église de Hvalsey, Groenland)



    La colonie viking au Groenland est une réalité ; son fondateur s’appelait Eiríkr Le Rouge, même si, en vérité, on ne sait pas grand-chose de sa vie et encore moins de celles de ses compagnons d’aventure. Après une jeunesse turbulente, comme c’était souvent le cas à cette époque, il a coulé sur sa « terre verte » une douce existence de propriétaire foncier. Une vie assez banale, en quelque sorte, qui explique peut-être le peu d'importance que lui ont accordé les auteurs de sagas. Une mention suffisante toutefois pour le faire entrer dans la légende.

     

    (Plan des tombes de l’église de Thjódhildr à Brattahlíd, Groenland. Saga Trails, Jette Arneborg,2006) Eiríkr Le Rouge fut sans doute inhumé dans ce cimetière.

     



    Que les Alfes illuminent votre journée.
    T.A.
    28 août 2022, temps délicieux, 28 degrés Celsius, 82 degrés Fahrenheit.

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